Décoloniser les données sur la santé : entretien avec Lucille Duncan


Chaque année, le 30 septembre marque la Journée Nationale de la Vérité et de la Réconciliation, qui rend hommage à l’histoire dévastatrice et aux répercussions persistantes du système des écoles résidentielles au Canada. Dix ans après la publication Des appels à l’action de la Commission de Vérité et de Réconciliation, Lucille Duncan pose une question simple : « Que fait le système de santé pour promouvoir la vérité et la réconciliation ? »
En tant que membre de la Première Nation Binche Keyoh et aînée Dakelh, Mme Duncan travaille depuis près de 20 ans comme intervenante auprès des Autochtones dans le nord de la Colombie-Britannique. « Je me suis toujours intéressée à la santé des Autochtones et à la manière dont nous pouvons améliorer leur situation dans le système de santé. J’ai toujours défendu les Autochtones, les personnes vivant dans la rue et celles qui souffrent de troubles mentaux et de dépendances. »
Il s’agit de rompre avec la manière coloniale de faire les choses. Il s’agit de s’assurer que les données sont décolonisées afin de créer des espaces sûrs. Trop souvent, les gens sont catégorisés, mis dans des cases et réduits à des chiffres. Mais nous sommes plus que des chiffres. Nous devons nous éloigner de cette vision et mener des recherches de manière appropriée. ~ Lucille Duncan
Aujourd’hui, une partie du travail de Mme Duncan consiste à sensibiliser les infirmièr-e-s, les médecins et les travailleur-euse-s sociaux à la sécurité culturelle et à l’humilité. « L’éducation joue un rôle important dans la réconciliation », elle a affirmé. « Nous sommes à l’ère de la vérité et de la réconciliation. Pour moi, cela signifie comprendre le racisme et la discrimination auxquels sont confrontés les Autochtones, en particulier les personnes stigmatisées et souffrant de troubles liés à la consommation de substances psychoactives. Cela signifie comprendre comment les politiques gouvernementales, les écoles résidentielles et la rafle des années 60 continuent d’affecter les vies aujourd’hui à travers les systèmes judiciaire et de santé. »
Ces injustices historiques ont suscité un scepticisme et des inquiétudes légitimes quant à la manière dont les données sur la santé des Autochtones sont traitées dans un système de santé raciste qui a failli à sa mission envers les Autochtones de Colombie-Britannique. Mme Duncan a souligné les taux plus élevés de polyarthrite rhumatoïde, de diabète, de maladies cardiaques et de troubles mentaux dans les communautés autochtones. « Tout cela découle des effets des politiques gouvernementales. Les sociétés pharmaceutiques utilisent-elles ces données pour des expériences ou des essais cliniques ? Le système de santé les utilise-t-il pour aider réellement les gens ? » Pour qu’une véritable réconciliation puisse avoir lieu, elle a continué, il est essentiel de prendre en compte le contexte historique plus large des communautés autochtones et leur expérience du système de santé.
C’est ce qui sous-tend l’intérêt de Mme Duncan pour les données sur la santé, qui a commencé à se développer grâce à son travail en tant qu’aînée pour EQUIP Health Care, un programme de recherche basé à l’Université de Colombie-Britannique qui promeut des soins de santé axés sur l’équité. « J’ai commencé à m’interroger sur la manière dont les données sur la santé sont utilisées dans la recherche et sur les types de données elles-mêmes : quels types de données sont collectés, où sont-elles stockés et comment sont-elles utilisées », elle s’est souvenue.
Duncan continue de soulever ces questions, ainsi que d’autres questions relatives à la gouvernance des données sur la santé, en tant que membre du Conseil consultatif public du RRDS Canada, où elle encourage des discussions constructives sur la souveraineté des données autochtones et la réconciliation. Le RRDS Canada a créé ce conseil afin de donner au public la possibilité de s’exprimer dans les discussions sur la gouvernance des données de santé. Mme Duncan utilise sa voix au sein du CCP pour défendre l’autodétermination des Autochtones en matière de soins de santé, en particulier en ce qui concerne la collecte, le stockage et l’utilisation des données de santé appartenant aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis. « Cela aide le CCP à comprendre la terminologie appropriée, à reconnaître les terres et les territoires sur lesquels nous nous trouvons et à inclure les perspectives et les modes de vie autochtones. »
De telles actions sont essentielles, selon Mme Duncan : « Il s’agit de rompre avec la manière coloniale de faire les choses. Il s’agit de s’assurer que les données sont décolonisées afin de créer des espaces sûrs. Trop souvent, les gens sont catégorisés, mis dans des cases et réduits à des chiffres. Mais nous sommes plus que des chiffres. Nous devons nous éloigner de cette vision et mener des recherches de manière appropriée. »